Conte de Noël paru dans le Journal du Neudorf N°24
novembre - décembre 2008
Le fossé des générations est une
réalité ancestrale. En voici une
parfaite illustration : Emilie
remonte avec prudence la route du
Polygone quand une bande de
lycéens la heurte malencontreusement.
Du temps d’Emilie, on apprenait
aux jeunes le respect des personnes
âgées. Aujourd’hui, les
bonnes manières se sont envolées. A
l’image de cette neige qui décolle du
sol, sous l’effet des coups de pieds
des gamins. Une poignée de poudre
blanche atterrit sur les épaules de la
veille dame. Enfin, sur celles de son
manteau.
- Dites-donc ! Vous ne pouvez pas
faire attention ? Vous n’êtes pas seuls
sur ce trottoir, s’indigne Emilie.
- Pardon, M’dame, s’écrie un bonnet
jaune qui ressemble à une longue
chaussette.
Emilie toise les adolescents, l’expression
méfiante. La bande d’excités,
quant à elle, s’est déjà engagée dans
une bataille de boules de neige. Bon,
d’ici quelques mètres, Emilie sera
chez elle. Dans le hall de l’immeuble,
elle croise ses voisines de palier, la
petite Julie et sa mère. Elles sont en
pleine conversation où il est question
du Père Noël. Une rumeur circulerait
dans la cour de récréation : le gentil
bonhomme rouge serait pure invention.
La fillette, les mains sur les
hanches, veut en avoir le coeur net.
Face à l’explication embarrassée de
sa maman, elle se tourne vers la
vieille dame. Elle est mignonne la
petite, mais, désolée, Emilie refuse de
s’embarquer dans cette périlleuse
discussion. Trop de responsabilité !
De toute façon, Père Noël ou pas, Julie
sera trop gâtée le soir du réveillon. Ah,
l‘orange en guise de cadeau appartient
à un lointain passé ! Emilie sourit,
puis bat en retraite avant d’être prise
à partie. Une fois dans son appartement,
elle se poste derrière la fenêtre.
A cette période de l’année, elle
aime profiter du spectacle de la rue.
Et, elle est aux premières loges. Les
lumières, les décorations dans les
vitrines ou dans les maisons d’en face
effacent la grisaille de l’hiver. A l’abri
dans son cocon de couleurs, elle se
souvient des Noëls d’autrefois.
La nuit suivante, Emilie se réveille en
sursaut. Elle n’a pas fait de cauchemar,
elle n’est pas malade. Non, elle a
juste un sentiment bizarre. Elle enfile
ses pantoufles avant que ses pieds
ne touchent le sol glacé : elle va
regarder un moment par la fenêtre,
en attendant que le sommeil
revienne. A l‘extérieur, le silence
règne. Tout à coup, un étrange défilé
envahit le champ de vision d’Emilie.
Elle reconnaît vite - grâce au fameux
bonnet jaune - le groupe qui l’avait
bousculée. Les jeunes ont les bras
chargés de cartons. Il se passe un
truc pas net, se dit aussitôt Emilie. Sa
première intuition lui souffle qu’il
s’agit de marchandise volée. Sinon,
que font ces voyous, à une heure si
tardive, par ce froid de canard ?
Soudain, les adolescents s’arrêtent
devant les multiples sapins, plantés là
le 1er jour de décembre. Ils encerclent
la petite forêt. Tandis que les
uns secouent les branches enneigées,
les autres entreprennent de
fouiller les cartons. Emilie, qui ne
perd pas une miette de la situation,
maugrée à voix haute : “ petits vandales ! ".
La suite de l’histoire, elle
était loin de l’imaginer…
Le lendemain matin, c’est la grande
foule au dehors. On est venu des
quatre coins de Neudorf pour admirer
les sapins. Ces derniers, toutes
générations confondues, exhibent
fièrement leur symphonie de couleurs
et de lumières. Les habitants y
vont de leurs commentaires, un
mélange d’admiration et de curiosité.
Qui a réussi à accomplir un tel exploit
en une seule nuit ? Bien sûr, la petite
Julie, sa mère et Emilie sont là. La fillette
parle encore du Père Noël. Et,
elle veut toujours savoir s’il existe.
Cette fois-ci, la vieille dame est en
mesure de lui répondre :
- Tu peux croire au Père Noël, Julie !
D’ailleurs, j’ai eu la chance d’apercevoir
ses lutins alors que tout le
monde dormait. C’était merveilleux !
Je n’avais pas ressenti une aussi belle
émotion depuis longtemps.
- Je le savais ! triomphe la gamine.