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Présentation

  • : Le blog de MOSER CHRISTINE
  • : J'ai l'intention de consacrer ce blog à deux de mes passions, la littérature et l'écriture. La première est facile à assouvir, la seconde s'entretient chaque jour. J'ai envie de parler de mes travaux d'écriture en tout genre : des récits et biographies écrits sur commande, des piges pour la presse, des lettres publicitaires, ou encore des histoires illustrées pour enfants. Les projets sont également nombreux...
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Nouvelle parue dans le magazine MAXI n° 988



"Non, Mamie, martèle Clément du haut de ses 5 ans. Maman n'a pas envie de venir te dire bonjour. Elle préfère se dérober, tu sais..."
En entendant ses propos, la belle-mère hoquète d'indignation. Elle se tourne vers son fils : "Trop c'est trop, Luc, pleurniche-t-elle. Que ta femme me déteste est une chose, mais me fuir sans juger bon de sauver les apparences devant le petit, c'est un comble ! "
Luc lève les yeux au ciel et suggère que sa mère devrait se calmer, qu'il s'agit sûrement d'un malentendu, que Clément exagère... Le garçonnet choisit ce moment pour jeter de l'huile sur le feu : " Pas du tout ! clame-t-il. Maman est enfermée dans sa chambre parce qu'elle veut se dérober pour de vrai ! En plus, quand je l'ai prévenue que Mamie est arrivée, elle s'est énervée et elle a dit : "Tant pis ! Papa et toi, occupez-vous d'elle !"
Accablée par cette révélation, le pauvre Luc courbe l'échine ; sale temps annoncé pour le repas ! Les deux femmes de sa vie se livreront encore à un bras de fer, à travers une joute verbale aux insinuations plus ou moins perfides. Luc regarde sa mère du coin de l'oeil. Pas besoin d'être finaud pour percevoir sa rancoeur. Corinne me déteste est d'ailleurs sa rengaine favorite. Elle en est persuadée depuis longtemps, depuis ce fameux soir où son fils lui avait présenté sa fiancée. Jeanne était déjà veuve ; elle se sentait seule, inutile et rêvait d'avoir des petits-enfants. Toutefois, pas avec une fille comme cette Corinne ! Visiblement une égoiste... Bref, dès le début, la méfiance s'était installée et, entre les deux femmes, les courts-circuits se multiplièrent au fil des années. Selon Jeanne, sa belle-fille néglige son rôle de mère, d'épouse. Un exemple ? Accaparée par sa carrière de juriste, elle laisse l'éducation de Clément aux soins d'une succession de jeunes étudiantes pendues à leur téléphone portable. Les rares fois où, par enchantement, Corinne est présente à l'heure du dîner, elle se borne à le servir à coup de surgelés. Ah ! il doit être grand, leur congélateur !
Clément est parti frapper à la porte de la chambre où s'est réfugiée sa mère, tandis que Luc essaie d'arrondir les angles avec la sienne, à présent enfermée dans un mutisme boudeur. Bon sang ! Corinne n'est pas du genre à mâcher ses mots, pourtant quelle mouche l'a piquée ?  Expliquer à Clément qu'elle se dérobe face à sa grand-mère ? Ce coquin étant incapable de tenir sa langue, il suffit d'un mot malheureux pour déclencher le drame. Déjà que Jeanne à l'imagination fertile, toujours poursuivie par le délire de la persécution. Tiens, Il y a quelques mois, elle a prétendu, fort sérieusement, à l'issue d'un déjeuner houleux, avoir été victime d'une tentative d'empoisonnement. Ses maux de ventre en étaient une belle preuve. Corinne ne s'était pas gênée pour rire aux éclats. Elle avait ajouté à l'adresse de son mari : "On devrait décerner à ta mère le prix de la meilleure comédienne !" Jeanne avait eu l'air crucifié ; en tout cas, elle n'était pas dupe, on avait voulu lui nuire, peut-être l'éliminer. Point final. Quant à l'ambiance, elle s'alourdit un peu plus.
Et aujourd'hui, Corinne se dérobe carrément. Par-dessus le marché, elle se sert de Clément afin de le claironner haut et fort. Ça, c'est la goutte d'eau !
Jeanne en a ras-le-bol de se sentir exclue, d'être considérée par sa famille telle la cinquième roue du carrosse. Une famille qui l'invite dans le but de se donner bonne conscience. Eh bien! Puisqu'elle les embarrasse autant, elle va débarrasser le plancher. Parfaitement, elle va mourir, se suicider juste pour les ennuyer, pour les culpabiliser. Jeanne a un plan ; elle le mettra à exécution dès ce soir. Quand elle sera de retour chez elle. Seule. La comédienne se sent maintenant une vocation de tragédienne...
Durant le déjeuner, Jeanne ne laisse bien sûr rien transpirer de ses intentions, si ce n'est quelques allusions. Car finalement, Corinne a daigné apparaître. Sans prononcer la moindre excuse, cela va de soi, sans remercier Jeanne au sujet de la robe envoyée quelques jours plus tôt, à l'occasion de ses 30 ans . Quel manque de savoir-vivre !  C'est probablement Clément qui a poussé  sa mère à revenir sur sa décision. Il n'a, en effet, cessé ses allées et venues entre le salon et la chambre de sa mère, jusqu'à ce qu'elle en sorte. Corinne s'est ensuite montrée à l'aise, faisant peu de cas de la venue de sa belle-mère. Décidément, puisqu'elle a cessé d' exister aux yeux des autres, Jeanne peut aussi bien quitter ce monde. De temps en temps, elle ne peut s'empêcher de s'attarder sur le visage de son petit-fils. Elle sourit, pas de doute, il lui manquera ! Elle se rappelle comme son Luc était mignon, autrefois, lorsqu'il n'était pas encore un fils ingrat, manipulé par une épouse dépourvue de coeur. Allons Jeanne, arrête ton sentimentalisme, il n'y a plus de place pour toi, ici, songe-t-elle avec amertume.
C'est vrai, elle est une excellente comédienne. Elle parvient à s'imaginer dans l'au-delà. Les bruits de la conversation lui parviennent alors dans un brouhaha confus.  Corinne lui adresse la parole, cependant elle est ailleurs.
"Jeanne... Je voulais vous remercier pour la superbe robe que vous m'avez offerte. Elle me va à merveille. Je tenais à la porter pour que vous puissiez en juger, hélas,  j'ai dû la retirer avant votre arrivée : je l'ai tâchée en assaisonnant les salades. Après, j'avais sans arrêt le petit dans les jambes, répétant : "Dépêche-toi de te dérober, Mamie arrive !" Puis, j'ai complètement oublié de vous en parler. C'est mignon" dérober ", vous ne trouvez pas ?"

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